Le décès de Mathis, fauché par un conducteur sous l’empire du protoxyde d’azote, vient rappeler avec une brutalité insoutenable l’ampleur du laxisme qui entoure l’usage de ce gaz dans l’espace public. Utilisé à des fins récréatives pour ses effets euphorisants, le protoxyde d’azote autrement connu sous le nom de gaz hilarant ou de proto est devenu un produit de consommation courante dans certains milieux festifs, sans qu’aucune réponse réglementaire adaptée ne vienne freiner sa banalisation — et ses conséquences dramatiques.
Aujourd’hui, aucune procédure ne permet de contrôler son usage au volant et il est plus difficile à repérer que d'autres substances psychotropes dans les dispositifs de dépistage utilisés par les forces de l’ordre. Autrement dit, il semble sortir du cadre de la sécurité routière, alors même que son usage altère profondément les capacités de concentration, les réflexes, et le jugement indispensables à la conductrice / au conducteur et que la conduite sous protoxyde d'azote a déjà été responsable de trop nombreux accidents de la route à ce jour.
Après le drame du décès de Mathis, la voix de ses parents doit être entendue, et insister une nouvelle fois sur cette question fondamentale que nos dirigeants refusent de prendre véritablement à bras-le-corps : qu’attendons-nous pour prendre au sérieux les dangers de la conduite sous protoxyde d’azote et des autres comportements à risque au volant en y apportant des réponses adaptées ?
Gaz hilarant : une substance festive devenue mortelle sur la route
Initialement utilisé comme gaz anesthésiant en médecine ou dans l’industrie agroalimentaire pour les siphons à chantilly, le protoxyde d’azote a progressivement gagné les soirées étudiantes, les festivals, et les rassemblements de jeunes. Ses effets sont immédiats :
- sensation de légèreté,
- rires incontrôlés,
- déconnexion momentanée de la réalité.
Ce qui lui vaut son surnom, au caractère trompeur car véhiculant un côté inoffensif, de gaz hilarant.
Trompeur car si ses effets sont immédiats, ses effets secondaires sont bien documentés :
- troubles de l’équilibre,
- ralentissement des réflexes,
- troubles de la vision,
- altération du jugement, voire hallucinations.
Toute personne de bonne foi ne pourra que reconnaître que de tels symptômes ne peuvent être associés à la conduite sans un risque majeur pour la sécurité de tous les usagers de la route et constitue à cet égard un acte évident de délinquance routière.
Une législation en retard, une société permissive et injuste pour les victimes
Contrairement à la cocaïne ou au cannabis, le protoxyde d’azote n’est pas répertorié comme un stupéfiant. Il est vendu librement, dans de nombreuses enseignes physiques et en ligne. Son utilisation à des fins festives, bien que la vente et l'incitation à la consommation chez les jeunes soient interdites dans certains textes récents, n’enraye pas cet usage dangereux pour l'heure.
Et le plus préoccupant reste l’absence de réaction adaptée de la part des pouvoirs publics. Alors que les usages dangereux se poursuivent et par endroits se développent alors que les dangers sont connus, l'arsenal dissuasif vis-à-vis des comportements à risque au volant n'évolue pas. Il n'y a pas d’interdiction spécifique liée à la conduite sous protoxyde d'azote. Nous nous devons d'apporter d'autres réponses à la famille de Mathis - admirable de courage je le répète ici - et à toutes les familles de victimes d'accidents de la route causés par le protoxyde d'azote.
- Va-t-on encore faire croire aux Françaises et aux Français proches et / ou victimes d'accident de la route qu'elles ont véritablement été entendues avec cette loi sur l'homicide routier alors qu'elle ne représente aucune différence en matière de sanction pour l'auteur de l'accident par rapport à l'ancienne loi sur l'homicide involontaire dans un accident de la route ?
- Va-t-on Faute de tests salivaires ou sanguins adaptés et sous prétexte qu'il est presque impossible de prouver l'état du conducteur au moment des faits, ne pas chercher des pistes pour pouvoir essayer de lutter au mieux contre ce fléau de la conduite sous gaz hilarant ?
- En considérant que la conduite sous protoxyde d'azote est déjà punissable en cas d'homicide involontaire en tant que "violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence" plutôt qu'en plaçant sa consommation sur le même pied d'égalité - en tant qu'item à part entière - comme il peut y en avoir pour la drogue ou l'alcool, n'envoie-t-on pas un signal selon lequel c'est moins grave ?
Il est grand temps d'adopter enfin un comportement à la hauteur des attentes des familles de victime pour qui tous ces vides se traduisent par une forme d’impunité insupportable. D’un côté, des familles détruites à vie ; de l’autre, des responsables pour qui les sanctions encourues pour la gravité de leur acte restent désespérément inadaptées sans qu'on ait l'impression qu'on veuille que cela change.
Si vous avez l'habitude de lire ce site et / ou que vous avez lu mon ouvrage "Drames de la route" vous savez à quel point ce déséquilibre juridique ne touche pas uniquement l’affaire de Mathis mais qu'il reflète une faille profonde dans notre manière de concevoir la responsabilité routière que je dénonce depuis longtemps.
Conduite sous CBD : l'absurde contraste de répression
Le laxisme vis-à-vis de la conduite sous protoxyde d'azote est d’autant plus choquant lorsqu’on le met en perspective avec la rigueur extrême appliquée à la conduite sous CBD. Le cannabidiol, issu du chanvre, est parfaitement légal en France, à condition de respecter un taux de THC très faible de manière à ce qu'il ne provoque pas d'effet euphorisant ni d'altération.
Pourtant, les tests salivaires utilisés par les forces de l’ordre sont incapables de distinguer le CBD légal du cannabis interdit. Un conducteur ayant consommé une huile au CBD ou une infusion peut donc se retrouver positif lors d’un contrôle, poursuivi pour conduite sous stupéfiants, voire privé de permis alors qu'il peut très bien avoir adopté une conduite, dans les deux sens du terme, parfaitement légale.
Une incohérence qui ne fait que jeter de l'huile sur le feu du sentiment d’injustice. D’un côté, on pénalise des comportements légaux et non dangereux et de l’autre, on ne fait rien pour dissuader celles et ceux qui inhalent un gaz euphorisant avant de prendre le volant. Une incohérence qui n’est pas qu’un problème juridique : elle est un signal inquiétant envoyé aux citoyens sur les priorités réelles de la politique de sécurité routière.
Conduite sous protoxyde d'azote, une société face à ses choix
La consommation de protoxyde d’azote doit devenir une question de société. Ce n’est plus une mode passagère, un simple phénomène festif. C'est une habitude pour trop de jeunes de nos jours, une habitude qui tue, directement ou indirectement. Tant que nous refuserons de reconnaître ce ce phénomène comme le véritable fléau qu'il est, nous accepterons tacitement que d’autres drames se produisent. et c'est un message que nous ne pouvons nous permettre d'envoyer aux familles des victimes.
